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Navigateurs Aériens et DENAEde l'Aéronautique Navale |
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(1931-2018)
1958
Depuis que le Président BOURGUIBA est à la tête du gouvernement tunisien, tout est calme en Tunisie. Il n’en est pas de même en Algérie où la guerre s’intensifie.
Un grave incident se produit à la frontière algéro - tunisienne. Des fellagas venus de Tunisie attaquent une patrouille française qui compte 14 morts et 4 prisonniers. Le commandement demande alors le droit de poursuivre les rebelles jusqu’à leurs bases installées en territoire tunisien.
Les flottilles de chasse 12F et 14F participent depuis la base de KAROUBA aux opérations. Le long de la frontière algérienne a été édifiée une ligne de défense dite « Ligne MORICE ». Elle doit empêcher les infiltrations des combattants algériens, la Tunisie étant devenue, sur son territoire, la base logistique et opérationnelle des rebelles algériens. A chaque intervention les Corsair essuient de violents tirs de mitrailleurs et plusieurs avions sont touchés.
Le commandement (l’ordre est donné par les généraux CHALLE et JOUHAUD) décide pour le 8 février un raid massif en représailles. L’état-major d’Alger a programmé un bombardement sur le village de SAKHIET-SIDI-YOUSSEF d’où étaient partis les tirs de mitrailleuses et qui est identifié comme une des bases du F.L.N.
Cette action provoque la mort de nombreuses victimes dans la population civile (70 morts et 80 blessés); cette affaire internationalise le problème algérien.
Le 10 février la Tunisie rompt ses relations diplomatiques avec la France et le président BOURGUIBA demande le départ immédiat des troupes françaises implantées en Tunisie, y compris ceux de Bizerte, et ordonne que la liberté de circulation soit restreinte. Le général de GAULLE estime qu’il faut rétablir de bonnes relations avec Tunis.
Ces événements se passent un samedi et aucune information n’est parvenue en ville. Le week-end, nous allons faire avec des amis des achats dans la médina et ce n’est que le lundi matin que les événements s’accélèrent. Quand nous voulons regagner la base de KAROUBA, aucun autocar militaire ne peut franchir les barrages dressés autour de la ville et là nous apprenons notre blocus. En tenue civile, je me rends à la subdivision où le commandant d’armes a reçu des instructions pour les marins de KAROUBA. Les ordres sont de rester chez soi en attendant les instructions complémentaires, de regrouper les familles et de récupérer épouse et enfants des militaires qui étaient de service pendant le week-end.
Etant le plus gradé du secteur de la rue THUZET, je prends la responsabilité de mon secteur et je constate que nous sommes une dizaine à ne pas pouvoir regagner la B.A.N. Seul Jean LAPORTE était de service le week-end, et comme nous sommes très liés avec eux, Juliette et moi nous décidons d’accueillir Mauricette et leur fils Jean-Louis. Nous transportons le petit lit chez nous et comme nous n’avons qu’une seule chambre, nous couchons à trois dans le même lit. Juliette est au milieu à coté de Mauricette et moi de l’autre côté. Heureusement, nous ne sommes pas bien gros et nous pouvons dormir, les garçons sont bien heureux d’être ensemble. Sur la table de nuit, j’ai placé mon pistolet et une fusée de détresse que nous devons tirer en cas d’urgence. C’est cette fusée que Christian déclenchera huit ans plus tard à Six Fours...
Tous les jours je vais à la subdivision prendre des ordres et au bout d’une semaine de blocus l’étau se desserre. Nous décidons de prendre le lundi le train pour la PECHERIE où se trouve la base navale pour rejoindre ensuite KAROUBA. Les ordres sont formels, il faut rejoindre impérativement nos unités et nous devons abandonner femmes et enfants.
3 marins devant la gare de la Pêcherie
Devant cette obligation, nous empruntons donc le train où il n’y avait jamais eu autant de monde et sans problème nous arrivons en gare de la PECHERIE, les Tunisiens n’ont pas été dupes de notre « repli » sur la B.A.N.
Toute la flottille est au complet et nous reprenons nos vols d’entraînement. Ils sont effectués uniquement en mer, car il n’est pas question de survoler le territoire tunisien et nous sommes consignés sur la base. Après les heures de présence à la flottille, ce sont les parties de boules et les jeux de cartes et de temps en temps nous assistons à une projection cinématographique dans un hangar. Une quinzaine de jours se passe et les épouses accompagnées des enfants peuvent nous rendre visite le samedi et le dimanche. Comme pour s’occuper de prisonniers, elles viennent avec le panier et les gâteaux et c’est le pique-nique sur l’herbe.
Le 7 mars 1958, nous déplorons la perte d’un T.B.M.3S au nord de Bizerte, à une trentaine de nautiques, lors d’un exercice de nuit. L’appareil était piloté par l’EV1 FRANIATTE et les trois officiers mariniers, que je connaissais bien, composaient son équipage. J’ai participé pendant les deux jours aux recherches, mais nous n’avons absolument rien retrouvé, aucun débris flottant n’a été aperçu sur une mer pourtant d’huile. Ils ont disparu corps et âme dans la Méditerranée...
Sur la base une émouvante cérémonie est célébrée en leur mémoire et nous restons une semaine sans voler. La commission d’enquête n’a pratiquement aucun élément pour déterminer avec certitude les causes de l’accident. Une hypothèse à laquelle nous pensons tous est qu’au moment de l’éclairage du but par le puissant projecteur, l’appareil volait trop bas et qu’il a percuté la mer.
Le régime « carcéral » s’allège un petit peu et maintenant nous pouvons aller voir nos familles tous les six jours, mais uniquement l’après-midi de 12h00 à 18h00. Nous utilisons comme moyen de locomotion la bicyclette puisqu’il n’y a pas d’autocar militaire pour Bizerte.
Comme la situation risque de durer dans le temps, comme nombreux de mes collègues de travail, je décide de rapatrier ma famille en France. Nous apprenons d'autre part que la 4F sera affectée à partir du 1er juillet 1958 sur la base principale d’Hyères.
Avec Juliette, nous préparons notre déménagement et il nous faut trouver un point de chute dans la région Hyères - Toulon. Par un camarade, j’apprends que l’appartement que loue monsieur AXLIES, un ancien de la flottille et qui vient d’être affecté à Cuers serait libre à la mi-avril. Je me mets donc en relation avec lui par lettre, et par retour du courrier il m’annonce que le propriétaire est d’accord pour louer. Le propriétaire est monsieur Raymond LACOMBE, le montant du loyer est assez modeste 15000 francs mensuel, mais il y a un « pas de porte » de 100.000 francs.
Au milieu du mois d’avril Juliette et mon petit Christian partent pour la France, j’ai pu les conduire à EL-AOUINA et de là ils prennent l’avion pour Marseille. Les meubles et équipements étaient déjà arrivés à Toulon et les propriétaires avaient positionné les meubles dans les pièces. Resté à KAROUBA, j’attends avec impatience une lettre qui me donne tous les détails de l’installation.
A la flottille nous effectuons de nombreux vols, nous sommes mis en place à BÔNE en Algérie où nous réalisons des missions de surveillance sur les côtes algériennes.
Nous couchons sous la tente sur des lits picots et la popote est assurée par l’armée de l’air. Un jour que nous partions en mission nous sommes positionnés devant une escadrille de T6 et les armuriers sont en train d’armer les mitrailleuses de 12,7 m/m .Je me fais la réflexion que nous ne sommes pas vraiment à la bonne place, lorsque quelques secondes plus tard une rafale de balles passe au-dessus de nous. Par chance le T6 est un avion muni d’une roulette de queue et avec son nez cabré, le tir s’est dirigé dans l’air plutôt que vers nous. D’après nos calculs, sans cela notre appareil aurait eu droit à une bonne giclée et peut-être plus...
Le 5 juin je peux aller trois jours en France, lors d’un petit exercice A.S.M et j’ai beaucoup de joie à retrouver ma petite famille. Bien sûr, Juliette a énormément de choses à me raconter. Le 25 je peux bénéficier de nouveau de deux jours parmi les miens.
Fin juin, je quitte la Tunisie par bateau et je rejoins la métropole. Je dois passer le concours du Brevet supérieur à Hyères, mais je ne me fais guère d'illusions, car je n’ai pas eu beaucoup de temps pour réviser.
Le mois de juillet arrive et nous allons passer tous les trois les vacances d’été en Saône et Loire.
Ce n’est que vers le 20 août 1958 que je rejoins la flottille 6F qui est une flottille Ecole pré opérationnelle. J’y retrouve des officiers que je connaissais à la 9F ou antérieurement à la 4F et je suis satisfait de ma fonction au sol. Je suis le chef de secrétariat du commandant, c’est un poste de confiance et je serais de plus instructeur radar sur T.B.M 3W. Le BREGUET Alizé est en cours de réalisation et je vais participer aux essais de prototypes.
Nous retrouvons dans la région toulonnaise nos amis LAPORTE, SALUS et LEDREAN et nous nous invitons régulièrement. Nous n’avons pas de véhicule automobile et nous n’avons pas peur de faire de la marche pour nous déplacer. Le 29 octobre, nous fêtons les 22 ans de mon épouse Juliette et ce même jour, le Cardinal RONCALLI devient le pape Jean XXIII.
Cette année se termine bien avec l’élection du général de GAULLE comme président de la république française le 22 décembre 1958.