Macaron

Navigateurs Aériens et DENAE

de l'Aéronautique Navale

Pinguin

Claude Bassard

(1931-2018)

1960

Le nouveau franc est mis en vigueur. C’est une des mesures appliquées par la Vème République. Le nouveau franc est égal à 100 francs anciens. Pour faciliter l’usage et cette transition, les billets de banque ont leur valeur indiquée à la fois en anciens et nouveaux francs par exemple 10.000 francs = 100 francs et 5000 francs = 50 francs.

La flottille 6 F est entièrement armée en BREGUET Alizé, tout le personnel est satisfait de voler sur ce nouvel appareil et il y a tant de différences entre le T.B.M et l’Alizé...
J’occupe alternativement la place du navigateur à l’avant, donc à la droite du pilote et à l’arrière.
Je lis la check-list et surveille avec lui le démarrage du turbopropulseur. Il y a de nombreux paramètres à contrôler et il faut surtout éviter la surchauffe du turbopropulseur. Dans les procédures, lorsque nous ferons des appontages, tous les voyants doivent être au vert et c’est sur la piste que nous simulons nos appontages.   

Presque tout le mois de février je suis détaché sur la base de Saint-Mandrier pour y faire un stage à l’école d’écoute de bouées passives A.S.M. Nous effectuons deux vols en SUNDERLAND et environ 25 heures sur S03/0P en collaboration avec les sous-marins SAPHIR et CREOLE.

Le 29 février un violent tremblement de terre cause à Agadir près de 10.000 morts. Il y a beaucoup de victimes parmi les marins et je perds mon ami BOUGREAU. Affecté au Maroc il y faisait son cours de pilote, car il avait demandé un changement de spécialité.

Tout le mois de mars je vole comme moniteur et le 4 avril, au retour d’une mission, j’apprends la bonne nouvelle : je suis désigné pour la flottille 27F à Dakar que je dois rallier pour le 1er Juin. La veille, nous avions fêté les 4 ans de Christian et je suis très satisfait de cette affectation en Afrique. Le séjour au Sénégal est avec famille mais pour sa mise en route, il faut l’attribution d’un logement (2 mois en provisoire et 4 en définitif). Cette désignation changera beaucoup le cours de notre vie.

Je suis débarqué de la flottille vers le 20 avril et je bénéficie d’un mois de congé avant mon départ en campagne. Je perçois ma prime d’éloignement, environ 3000 francs (et ce sont trois mille francs lourds 1960) et nous n’avons jamais eu autant d’argent en notre possession. Pendant mes congés, nous allons passer quelques jours en Saône et Loire.
A cette époque la solde est payée en numéraire et il n’est pas question que je transporte ma prime (toute en billets de 100 francs) pendant mon congé. Nous cherchons donc un endroit où nous pourrions cacher notre magot, et le choix s’oriente vers le tiroir du moulin à café, lui-même rangé dans le bas du buffet de la cuisine.
Dakar Beil AirQuand nous sommes de retour à la maison, c’est Christian qui se précipite pour voir si l’argent est toujours à sa place. Avant mon départ, nous plaçons l’argent sur un livret de caisse d’épargne, comme ça mon épouse Juliette peut s’en servir en cas de besoin et je lui fais avant de partir une délégation de solde.

Pour le 20 mai, je dois rejoindre la caserne du PHARO pour un embarquement par voie maritime, et j’ai un peu le cœur gros en quittant ma petite famille, mais je promets à Juliette que dès mon arrivée à Dakar je m’occuperai du logement.
Nous embarquons à bord du « DJENNE », un navire de la compagnie PAQUET. Comme je suis maître, je voyage en classe de seconde et cela me change beaucoup de mes embarquements en 4ème classe. Je retrouve pendant le voyage toute une bande de copains et en particulier le « gros Marcel CHOULAT ». Il faut sept jours pour rallier Dakar, il y a une première escale à Tanger mais nous ne sommes pas autorisés à descendre à terre. Par contre, nous pouvons profiter de l’escale à Las Palmas, aux îles Canaries pour effectuer une promenade en ville en calèche. Pendant toute la traversée, nous avons un temps magnifique et c’est un régal de contempler les bancs de marsouins et les dauphins.

Paquebot Djenné

Paquebot Djenné

En arrivant à Dakar au petit jour, nous sommes surpris par la chaleur humide et surtout par l’odeur qui y règne. Il y a une forte odeur de cacahuètes chauffées, on aperçoit près de l’usine LESIEUR d’énormes monticules d’arachides pour en faire de l’huile, et un peu plus loin il y a une savonnerie. L’odeur est écœurante.

La base aéronavale de BEL-AIR est située à environ 7 km de Dakar, les bâtiments de la zone vie sont accueillants et tout autour il y a beaucoup d’arbres, des flamboyants et des bougainvilliers qui sont tous en fleurs. Près de l’océan protégé par une grande jetée se trouve un grand parking avec à chaque extrémité deux slips. Le slip est un plan incliné sur lequel on hale à sec les navires et ici les hydravions. Sur ce plan, on peut mettre à l’eau les hydravions et les hisser après les missions, si les appareils ne sont pas amarrés sur bouées ancrées.  

L’accueil au sein de la 27F est très sympathique et comme nous sommes d’assez nombreux arrivants, ce sont trois nouveaux équipages qui sont constitués en relève des personnels débarquant. Je suis affecté dans l’équipage « CHARLIE » et mon chef de bord est le Lieutenant de Vaisseau SAINT-CAST, officier en 3ème de la flottille. L’officier navigateur est le L.V FOUYSSAT qui a fait le cours de navigateur avec moi à AGADIR en 1951, il y a aussi l’E.V2 BALLARD qui sort d’H.E.C et il y a le gros Marcel comme radio. Il y a des nouveaux que je ne connais pas mais qui vont devenir d’excellents copains pendant ces années où nous resterons ensemble.

Après les formalités administratives d'embarquement, je me rends à l’unité Marine Dakar pour connaître dans quel délai je pourrais me voir attribuer un logement provisoire. Il m’est annoncé un à deux mois, plus rapidement si j’acceptais un logement sur l’île de GOREE, mais ce n’était pas intéressant.
Dès que je peux, j’écris une longue lettre à Juliette en lui annonçant que son départ se fera certainement vers le 15 septembre et que le logement provisoire serait de 8 à 9 mois. 

C’est le 29 juin que j’effectue mon premier, dit vol technique et ensuite pendant le mois de juillet, nous effectuons une quarantaine d’heures de vol. Les 6 et 7 juillet, nous allons à Port-Etienne en Mauritanie, il y a une petite Unité Marine, je découvre le climat du désert, la journée il fait assez chaud 25-30°, mais le soir nous couchons avec deux couvertures. Les bâtiments de la Marine sont des demi-sphères et le baptême de ces lieux est « Nichon-Ville ».
Pendant ce mois de juillet, nous ne pouvons pas effectuer de vol à Dakar, car il y a trop de houle et le MARLIN  est limité à 1 mètre. Si au décollage et à l’amerrissage notre hydravion commence à faire « le veau »,  il risque de passer sur le dos...

Marlin

Nous allons faire de la piste de nuit sur le fleuve SALOUM, c’est assez impressionnant, car comme balisage il n’y a que cinq flotteurs. Après le vol, une partie de l’équipage couche à bord, car il faut surveiller la tenue de la bouée à l’ancrage, il n’est pas question de laisser dériver l’avion et à la moindre alerte il faut pouvoir relancer les moteurs. L’autre partie de l’équipage couche dans des locaux désaffectés d’une ancienne mine de titane, où malgré des moustiquaires nous sommes harcelés par les anophèles.

Sur la base, nous jouons surtout aux boules et pratiquons la pêche sur la jetée. Je n’ai jamais vu un endroit aussi poissonneux, je descends sans appât et il suffit de fouetter l’hameçon dans l’eau pour accrocher un poisson. Je découpe la première prise en petits morceaux pour faire des appâts et au bout de quelques secondes on a une prise. On peut aussi choisir sa pêche en fonction du plombage. Près des rochers on peut prendre des badèches (un genre de mérou) ou des poissons de surface qui ont la particularité de faire « couac-couac »  quand ils sortent de l’eau. En bout de jetée, il y a de très grosses pièces et un après-midi un copain qui pêche au lancer est tiré dans la mer par sa prise.

Marlin

La fonction de navigateur à bord du MARLIN est une des plus importantes. L’équipage est formé de 13 personnes. Outre la navigation, je suis chargé de calculer : le centrage de l’hydravion, le poids au décollage, le moment où il faudra déclencher les fusées d’appoint JATO. Pour déjauger, si l’on est trop lourd il faut déclencher les fusées au bon moment et je dois donner le top d’allumage au pilote. Je suis aussi responsable de l’armement de soute avec les bombes et grenades A.S.M.

Le 15 août c’est mon équipage qui est de service et le lendemain il est programmé un tir simulé sur but remorqué. Nous devons mettre en œuvre des bombes AF de 50 kg et des roquettes de 3 pouces 5. Nous avons trois MARLIN à équiper, et à 10 heures je descends pour tester les systèmes d’armement. Près de notre appareil, il y a une équipe d’armuriers qui est en train de préparer les bombes. Les bombes sont cabossées au niveau des ailettes et je les regarde travailler avec un petit maillet en bois pour remettre le cylindre. Les bombes AF sont inertes, remplies de sables mais elles ont une charge de poudre noire de 1Kg qui explose lorsque la bombe entre en contact avec la surface de l’eau.
Il commence à pleuvoir et je me réfugie dans une camionnette tube CITROËN, surnommée Junker à cause de ses tôles de carrosserie. Je ne suis pas encore assis sur la banquette qu’une violente explosion secoue le véhicule. Je descends aussitôt et je vois mes trois armuriers tombés à terre et grièvement blessés. Les secours interviennent et ils sont évacués sur l’hôpital maritime de Dakar. Un quartier-maître perd dans cet accident un œil, un autre se trouve avec plusieurs doigts arrachés. Je peux dire que j’ai eu beaucoup de chance, car à quelques secondes près j’étais à un mètre de la bombe. Le lendemain j’ai bien sûr à faire un rapport détaillé à la commission d’enquête, bien que la mise en œuvre des personnels et des moyens incombe entièrement au maître armurier.

Marlin

Fin août, on me propose un logement provisoire dans des anciens locaux de l’armée de l’air à OUAKAM, à 20 kilomètres de Dakar. C’est un vrai gourbi que je refuse, on me propose alors un logement dans la base marine. Il s’agit d’un logement dans un bâtiment appelé « Caserne des sous-marins ». A la visite je trouve une grande pièce qui fait 15 mètres de long sur 10 de large et il y a une petite séparation qui donne l’impression d’avoir deux chambres. J’accepte ce logement où il y a un gros réfrigérateur fonctionnant au pétrole, il y a quatre lits et c’est bien. J’avertis Juliette par message qu’elle peut déménager et qu’elle sera avertie par le bureau des passages de la date de son départ de Marseille avec les enfants. Je vais enfin retrouver ma petite famille.

Les vols au départ de Marseille ou de Paris sont assurés par la compagnie AIR FRANCE et ils sont effectués en Super Constellation. Les appareils doivent tous être remplacés par des BOEING 707 à partir du 15 septembre.                      

En ce début du mois de septembre, le temps est pluvieux, et de petites tornades sont presque quotidiennes. Je ne peux préciser exactement le jour de cet événement, mais je suis sûr de l’heure et du temps. Il est 6h45 et il pleut à torrents, des éclairs illuminent notre chambre quand nous entendons un avion de ligne qui passe à très basse altitude au-dessus de la base vie.
Nous sommes en train de prendre le petit déjeuner lorsque nous apprenons que le super constellation assurant la ligne Paris - Dakar vient de s’écraser en mer à 1 Km de la côte près des ALMADIES. Aussitôt les secours s’organisent, les plongeurs sont mobilisés et une équipe de volontaires part sur les lieux du crash. Le point a été localisé avec précision, mais il n’y a pas un seul survivant. Par quinze ou vingt mètres de fond l’appareil est complètement désintégré et le travail des plongeurs est gêné par la présence de nombreux requins. Cet accident fait environ 80 victimes, pour la base marine il n’y a pas de famille, ce sont nos camarades de l’armée de l’air qui ont le plus de pertes...

Vers le 10 septembre Juliette et les enfants arrivent, le vol s’est effectué de nuit. Les garçons ont été sages pendant le voyage, Jean-Luc a dormi dans un hamac de voyage et Christian trouvant le temps long avait demandé à sa maman de descendre. Comme ils étaient au-dessus du Maroc, il a pu regarder par le hublot et voir que c’était beaucoup trop haut.    

Des amis viennent m’aider à accueillir la petite famille, Il est cinq heures du matin à l’aéroport de DAKAR-YOFF.
Notre installation dans le logement de l’ex-caserne des sous-marins est vite faite, les meubles sont modestes, mais tout est assez propre. Christian est surpris d’une si grande pièce et Jean-Luc qui commence à faire ses premiers pas en le tenant, ouvre de grands yeux ; il est dépaysé.
Le premier jour où nous sommes allés nous promener en ville, un petit garçon noir s’approche de Jean-Luc et celui-ci se met à pleurer à chaudes larmes.

A la fin du mois, nous allons effectuer un exercice au large de la Mauritanie, il y a un sous-marin anglais « LE TREPASSER » qui est en transit pour l ’ Afrique du Sud. Chaque fois que nous allons à Port Etienne, lorsque l’Unité Marine veut bien nous prêter un 4X4, nous allons dans l’enclave espagnole de « LA GUERA » où nous faisons le plein de muscat espagnol, le « Moscatel ».  Nous en profitons également pour nous rendre à la baie des phoques et ramasser des moules vertes de haute mer qui sont délicieuses.

Nous fêtons le premier anniversaire de Jean-Luc, avec Suzanne LACOMBE et Serge MOUCHAGUE. Comme il bénéficie d’un véhicule de fonction, une 403 camionnette, nous en profitons beaucoup, surtout pour aller à la plage.

Le 2 octobre, nous partons en mission à Abidjan, capitale de Côte d’Ivoire. Nous allons faire un exercice avec « LE TREPASSER » qui poursuit son transit. Pour aller en Côte d'Ivoire, il faut sept heures de vol et après le passage du Cap des Palmes le paysage tropical est vraiment magnifique. Nous effectuons deux vols les 4 et 5 et s’il fallait chiffrer le coût de ces exercices ce serait phénoménal. Pour deux heures de pistage, il a fallu 12 heures de vol, 13.5 heures de transit et nous avons mouillé une trentaine de bouées acoustiques.

Nous sommes à la bouée dans la grande lagune, comme il n’y a pas de courant, il n’y a pas de garde à bord du Marlin et nous sommes logés dans une caserne d’un régiment d’infanterie de Marine. Ceux que j’appelle les « biffins », qui sont en fait des « marsouins », sont très sympathiques avec nous, car ils ont mis à notre disposition un minicar avec chauffeur. Nous pouvons faire des excursions en ville et les environs. Abidjan est une belle ville et je profite de l’occasion pour acheter quelques souvenirs en ivoire.      
Nous avons fait le plein de l’hydravion en bananes, ananas, pamplemousses, aussi au décollage dans la lagune il nous faut l’appui des fusées JATO  pour déjauger. Mes calculs sont bons à la seconde près quand nous prenons l’air. Nous rentrons à Dakar le 9 octobre.

Marlin

Nous avons pour quelques jours la visite d’un P2V6 Neptune de la base de LARTIGUE près de la ville d ’Oran. Les nouvelles que l'on nous rapporte d’Algérie ne sont pas très réjouissantes. Il n’y a pas de doute, l’Algérie française comme l’avait proclamé le général de GAULLE, c’est terminé. Il faut néanmoins négocier les sites de REEGANE où la France procède à ses premiers tirs nucléaires.

Il y a toujours beaucoup de houles en octobre et novembre, aussi nous allons faire de la piste sur le fleuve SALOUM. Ce n’est pas marrant et il faut coucher à bord. C’est toutefois mieux qu’à l’usine où nous sommes harcelés par les moustiques.

Nous profitons bien de la plage de BEL-AIR qui est une grosse enclave réservée pour la Marine. Pour la classer zone militaire, au bout d’un mât il y a une antenne radar bidon. Suzanne et Serge nous y emmènent souvent. Nous fêtons Noël et Jour de l’An entre amis, les enfants sont bien gâtés.

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