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Navigateurs Aériens et DENAEde l'Aéronautique Navale |
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(1931-2018)
1966
Début février nous embarquons sur le porte-avions FOCH. Notre nouveau pacha est le Capitaine de Vaisseau LAURE qui dans ses précédentes fonctions commandait la B.P.A.N de Hyères. C’est un officier plein de charisme qui a été choisi par l’Etat-major de la Marine pour ses qualités humaines. Il sera le chef de personnels qui resteront éloignés de leurs familles pendant dix mois.
La prise de commandement se déroule le 18 février et c’est le contre-amiral STORELLI qui fait reconnaître le nouveau commandant. L’amiral commandera la FORCE ALFA qui est composée du P.A FOCH, de trois escorteurs d’escadre, d’un pétrolier ravitailleur et de deux bâtiments de soutien logistique.
Les semaines et jours qui précèdent le départ c’est le plein de nourriture et de logistique qui remplissent le bord et détail, le commandant a autorisé la consommation moyenne de deux bières par jour et par personne pendant le voyage aller jusqu’à Tahiti. C’est donc un train entier de bière HEINEKEN qui a été livré et embarqué : 2 x 2000 hommes x 60 jours = 240 000 bouteilles soit 10 000 cartons de 24. Il y en a de partout, dans tous les postes. Elles passeront un jour ou l’autre vide au-dessus de nos têtes, larguées dans la mer par la manche à saleté... Ce qui n’est pas, effectivement, des règles d’écologie !
Claude BASSARD est le 1er à droite, après le quatuor de marins avec F.S.A
Claude BASSARD est au 2ème rang, debout : Le deuxième à partir de la droite
La première campagne du Pacifique
Le 23 mars 1966 nous appareillons de Toulon. Juliette et les enfants ne sont pas venus, je les ai quittés en les serrant très fort dans mes bras à la maison. Au moment de quitter le quai lors de l’appareillage, je reste dans ma chambre jusqu’à ce que nous soyons en haute mer.
J’ai pris toutes les dispositions administratives nécessaires à cette longue absence, délégation de solde correspondant à celle perçue en France et nous avons convenu d’écrire le plus souvent car les liaisons courrier seront effectuées.
J’ai laissé aux enfants un planisphère pour qu’ils puissent positionner leur papa dans son tour du monde.
Je rejoins la salle d’alerte numéro 3, celle de la 9F et il y a là une dizaine de copains qui se fond tondre les cheveux à ras. C’est une partie de rigolade, car on ne les reconnaît plus. Pendant les deux mois qui nous séparent de l’arrivée à Papeete, les cheveux auront bien le temps de repousser.
Lors du transit nous aurons une vitesse moyenne de 14 nœuds (25,92 km/heure), c’est la vitesse de notre nounou, le pétrolier ravitailleur « LA SEINE ». Ce qui nous fera souvent dire que nous allons faire le tour du monde, sur la mer, à la vitesse d’un Vélo SOLEX !
Nous arrivons à Dakar le 30 mars pour une escale de quatre jours, je retrouve avec plaisir cette ville où pendant deux ans nous avons passé de bons moments. Mes amis Suzanne et Serge MOUCHAGUE ne sont plus là, ils ont été nommés à ABIDJAN en Côte d’Ivoire.
Pendant l’escale nous allons à POPENGUINE et j’organise pour les officiers de la 9F une excursion, nous louons trois voitures. Nous profitons de la plage et d’un temps magnifique.
Nous appareillons le 3 avril, jour de l’anniversaire des dix ans de Christian. A l’escale j’ai reçu des nouvelles, comme à la liaison de Las Palmas, la poste navale fait de gros efforts pour acheminer rapidement les lettres. Un avion va chercher le courrier et il est distribué par hélicoptère au reste des bâtiments qui composent le groupe ALFA.
D’autre part, je viens d’être promu maître principal car je continue l’avancement dans le corps des équipages de la flotte.
Il nous faut 20 jours pour rallier DIEGO-SUAREZ base navale à Madagascar. Pendant le transit nous volons très peu et nous en profitons pour jouer d’interminables parties de tarots. Il y a bien quelques bridgeurs, mais c’est la ruée le soir pour avoir une table. Nous jouons à cinq et celui qui distribue fait le mort mais il participe aux gains et aux pertes de la partie. Cela permet de faire la pause pipi ou d’aller casser la croûte car le carré est ouvert 24/24. Je tiens la comptabilité pour tous les joueurs et j’encaisse en fin de mois mais cela ne chiffre pas beaucoup, car nous jouons un centime du point. Au bar, les consommations sont pratiquement gratuites et il y a un crédit possible de 100 francs par mois. C’est là que sont consommées la plupart des canettes de bière HEINEKEN.
Le passage de la ligne de l’Equateur le 7 avril, est l’occasion d’une journée de détente. Les néophytes méritent bien leur certificat de baptême car ils ont été bien gâtés par les hordes de sauvages et le bain dans la piscine... Je n’avais pas oublié mon certificat de baptême et je participe comme simple spectateur à ces cérémonies.
Nous doublons le cap de Bonne Espérance au sud de l’Afrique le 13 avril et l’océan n’est pas très calme. Je monte toutefois sur le pont mais il fait un froid de canard et je ne traîne pas.
Nous empruntons le canal du Mozambique et nous avons une liaison courrier à Port Elisabeth en Afrique du Sud. Il y a très mauvais temps et ce sont deux des meilleurs pilotes dont l’OE3 MANRIQUE qui sont choisis par le commandant car il y a de gros risques à l’appontage. A leur retour, après l’appontage, ce sont des « Hourra » d’une partie de l’équipage qui les saluent pour les remercier. J’ai beaucoup de lettres de Juliette, les nouvelles sont bonnes, et j’ai même des nouvelles de ma maman.
Le 20 avril nous arrivons à DIEGO-SUAREZ et nous sommes au mouillage en rade. C’est une petite ville et il y a encore une présence française assez importante. Il y a beaucoup de pierres précieuses à Madagascar et je décide d’acheter pour ma femme, un joli Béryl.
Nous allons en excursion au lac sacré d’ANTINARAVO dont les eaux sont infestées de crocodiles. Pour s’attirer la bonne grâce des dieux, un buffle acheté par le groupe ALFA est sacrifié et les bons morceaux sont distribués aux autochtones et le reste, sabots et tête, est donnée aux crocodiles.
Nous quittons l’île de Madagascar le 23 avril et je fête avec quelques officiers mes 35 ans. Ce jour-là, j’effectue deux vols, nous sommes encore prêts de Madagascar pour avoir un éventuel terrain de détournement. Le commandant évite au maximum les vols sans cette mesure de sécurité.
Notre prochaine escale sera Nouméa, en Nouvelle-Calédonie et nous allons traverser l’Océan Indien, passer par le détroit de Tasmanie et mettre ensuite le cap sur la Nouvelle Calédonie.
Nous avons un très beau temps et l’océan est calme, du pont d’envol nous admirons les dauphins et les marsouins, et les exocets (ce sont des poissons volants, plus tard cela deviendra le nom d’un missile...). Certains d’entre nous se font bronzer au soleil. Un jour, un jeune enseigne choisi un poste d’artillerie situé à l’arrière du navire où il y a deux canons de 100 mm. Au moment où il baisse son pantalon pour se mettre en maillot de bain, il reçoit un coup de canon dans les fesses alors que les artilleurs manœuvrent et il se trouve alors précipité dans la mer douze mètres plus bas.
Heureusement sur un porte-avions il y a toujours des veilleurs et l’un d’eux l’a vu tomber.
Il a la peur de sa vie, à nager en maillot de bain à 3000 kilomètres de la côte la plus proche et de voir s’éloigner le P.A qui file à ce moment à une vitesse de 20 nœuds. Pour arrêter un bateau à cette vitesse il faut au moins trois minutes et il voit le porte-avions s’éloigner rapidement. C’est l’hélicoptère de la 23S qui assurant le « RESCUE », qui le récupère. Le commandant lui inflige une punition de huit jours d’arrêts avec sursis pour le motif suivant : « Quitter le bord sans autorisation... ».
A bord, nous avons notre propre réseau de télévision et des émissions sont organisées, il y a un journal télévisé et nous avons des nouvelles de la France et du reste du Monde. Plutôt que la télévision, avec films et feuilletons, je préfère jouer au tarot. Nous formons le même groupe de 5 joueurs, le LV SCHMIT, le LV BONNISSENT de la 11F, l’OE3 STAUP, le LV BONNAFOUS et moi-même. Une fois, SCHMIT fait une pousse avec deux bouts 7eme dont l’excuse et le 1. Il ne fait pas un seul pli et il est terriblement vexé. Il s’en remettra.
En 1999 il est contrôleur général des armées, 4 étoiles...
En remontant vers la Nouvelle-Calédonie, nous passons au large d’une pyramide dite de BALE et c’est vraiment étrange de voir cette masse au milieu de l’océan. Le FOCH doit arriver le 14 mai à NOUMEA et deux appareils Alizé sont programmés la veille pour assurer une liaison courrier. Je réussis à circonvenir le commandant de la flottille de me laisser à l’aéroport de La TONTOUTA en expliquant que j’ai de la famille à Nouméa avec la famille MINITTI. Le commandant du porte-avions n’est pas très chaud pour me laisser sur place, car dans la Marine il n’est pas de coutume qu’un officier débarque avant le commandant. Il donne toutefois son feu vert.
A La TONTOUTA, je téléphone à Gaston MINITTI qui vient me chercher en voiture. Je ne connais pas la Nouvelle-Calédonie et ma première impression est que nous sommes dans un endroit de rêve. Sur la route qui sépare l’aéroport de Nouméa, longue de 50 km environ, je suis émerveillé par une luxuriante végétation. Mon amie d’enfance, Yvette, m’a réservé près de chez eux une chambre à l’hôtel, ils habitent un petit appartement, et dès l’arrivée, mon copain Albert CASTEL vient partager la chambre double.
Quelques jours avant notre arrivée, Yvette s’est brûlée à une jambe avec de l’eau bouillante, elle a beaucoup souffert et se remet lentement.
Un soir, nous sortons entre hommes dans une boîte de nuit où il y a un spectacle de danses tahitiennes. Cela nous donne un avant-goût du folklore.
Le lendemain nous partons pour la journée en bateau dans le lagon, pas très loin du phare Amédée. Le bateau est équipé d’un fond en verre, si bien que l’on peut voir le récif corallien et la multitude de poissons multicolores. Il y a également de nombreux serpents rayés impressionnants et Gaston fait de la plongée sous-marine. Dans l’après-midi, il remonte en vitesse à bord du bateau car il y a une femelle requin qui est menaçante. Avec Albert et Yvette nous étions restés tranquillement dans le bateau.
La veille du départ nous invitons Gaston et Yvette à déjeuner à bord et nous leur offrons deux souvenirs, Yvette reçoit un foulard HERMES et Gaston a une coupelle en argent avec l’insigne du FOCH.
Le 17 mai, nous quittons la Nouvelle-Calédonie pour mettre le cap sur Tahiti.
Le 22 mai, au petit matin nous découvrons Tahiti. Depuis notre départ de la Nouvelle-Calédonie nous avons un très beau temps et nous avons pu nous faire bronzer sur le pont d’envol, il n’y a pratiquement pas d’activité aérienne.
Comme le porte-avions doit rester une bonne quinzaine de jours au mouillage à VAIRAO, quelques Alizés et Etendards sont catapultés et vont se positionner sur FAAA, l’aéroport de Tahiti. Le « FOCH » ne pouvant pas s’amarrer dans le port de Tahiti (son tirant d’eau est trop important), le C.E.P a choisi comme lieu de mouillage le lagon de VAIRAO. Les fonds marins atteignent une profondeur de plus de quarante mètres et une large passe permet d’accéder avec l’aide de remorqueurs à la bouée d’ancrage.
Nous sommes nombreux sur le pont d’envol pour assister à l’arrivée des pirogues tahitiennes. Les autorités du Centre d’Essai du Pacifique (C.E.P) ont bien organisé l’accueil du FOCH. Les pirogues arrivent avec à leur bord les vahinés (femmes) et les « tanés » (hommes), elles transportent des brassées de colliers en fleurs de tiarés et frangipaniers ainsi que les danseuses et danseurs du groupe « MADELEINE ».
Dès la prise de bouée et les coupées descendues, c’est la ruée à bord et les embrassades. L’Amiral et le Commandant LAURE sont abondamment fleuris et acceptent de bonne grâce de danser le TAMOURE (danse typique tahitienne).
Le Groupe aéronaval du Pacifique est positionné, (dit groupe Alfa puis force Alfa), composé de plus de 3 500 hommes, comprend le porte-avions FOCH et six autres bâtiments : les escorteurs d'escadre FORBIN, LA BOURDONNAIS et JAUREGUIBERRY, les pétroliers LA SEINE et ABERWACH et le bâtiment de soutien RHIN. Durant la traversée, la France quitte le commandement intégré de l'OTAN. Le groupe aérien embarqué du FOCH, qui comprend vingt-quatre avions (douze avions de sûreté Alizé, huit avions d'assaut Étendard IV-M et quatre avions de reconnaissance Étendard IV-P) et vingt-deux hélicoptères (dix Sikorsky H-34, six Alouette II et six Alouette III), est chargé de surveiller et sécuriser la zone dite « dangereuse » (dispositif Phoebus).
Je me suis inscrit pour participer au TAMARA organisé par le C.E.P à TAUTIRA dans la presqu’île. Nous avons l’occasion de nous régaler d’un véritable festin : l’ouverture du four tahitien nous apporte du cochon cuit avec les légumes et fruits locaux. Il y a de l’ambiance et je crois que toutes les filles des environs ont été invitées.
Le C.E.P met à la disposition du FOCH une douzaine d’autobus pour pouvoir rallier PAPEETE, distant d’une cinquantaine de kilomètres de VAIRAO. C’est la ruée les premiers jours pour utiliser ces navettes, mais au bout d’une semaine beaucoup d’entre nous préfèrent la tranquillité et l’enchantement que procure VAIRAO. La route qui longe le lagon, non goudronnée, est bordée de cocotiers, frangipaniers et hibiscus, c’est magnifique.
Deux ou trois jours se passent et quelques équipages se rendent sur l’aéroport de FAAA. Nous effectuons des vols pour vérifier l’état des matériels et réaliser les compensations des compas.
Nous sommes logés à IORANA VILLA, c’est un hôtel qui a été acquis par le C.E.P dans la commune de PUNAUUIA. L’endroit est de rêve, le lagon magnifique et il y a une superbe vue sur l’île de MOREEA. Nous avons à notre disposition des pédalos pour gagner le platier, et avec masque et tuba je découvre les fonds sous-marins. C’est une colonie de poissons multicolores, il y a des coraux et une multitude de coquillages. Il faut néanmoins faire attention à ne pas se frotter de trop près aux coraux et à éviter les méduses.
Nous avons comme voisins Brigitte BARDOT, qui avec Gunther SACH viennent de se marier, il est le magnat allemand des roulements à bille.
L’après-midi nous faisons la sieste et à l’issue à l’ombre, nous faisons de longues parties de tarot. Le soir nous allons prendre un pot à PAPEETE, mais il y a beaucoup trop de monde.
Le 7 juin 1966 nous déplorons la perte du Commandant Claude GIRAUD à la suite d’un accrochage entre deux Etendards de la 15F, dans la passe de Vairao à Tahiti.
Vers le 15 juin nous appareillons pour MURUROA, la première partie de la campagne de tir doit débuter dans les premiers jours de juillet.
Je fais équipage avec comme pilote le Maître SALVIGNAC, le second-maitre François BOYER comme deuxième navigateur et moi-même. Après l’explosion nucléaire je serai chargé de mesurer la radioactivité sur les barrages de bouées de détection gamma. Ces bouées seront mouillées à l’avant des retombées, sous le nuage nucléaire. Nous percevons des équipements spéciaux pour les vols et nous n’emportons aucun effet ou objet personnel car il devra être détruit en cas de contamination.
![]() BOYER, SALVIGNAC et BASSARD devant l’Alizé 45 |
![]() Poste navigateur de l’Alizé |
Pendant une dizaine de jours nous effectuons des vols aux alentours de MURUROA pour nous assurer qu’il n’y a pas d’intrus dans la zone d’exclusion. Cette zone est de 200 nautiques (environ 360 kilomètres) autour des atolls de MURUROA et FANGATOFA. Juste à cette limite, la marine américaine a envoyé des bateaux espions, l’U.S.S « LE BELMONT » et puis l’U.S.S RICHFIELD. Il y a aussi assez souvent le vol d’un KC 135 qui doit venir d’HAWAI.
Le 7 juillet, à 6 heures du matin, le premier tir nucléaire a lieu sur MURUROA. La charge nucléaire a été placée sur une barge. Je suis d’alerte sur le pont d’envol du porte-avions et je peux observer le développement du nuage atomique, c’est vraiment impressionnant. Nous sommes catapultés et quelques minutes plus tard nous survolons le lagon. L’eau est complètement décomposée (fission nucléaire = séparation de l’hydrogène et de l’oxygène), nous allons mouiller notre barrage de bouées et là c’est un fiasco. Les chasseurs Vautours de l’armée de l’air qui viennent de tirer des fusées pour des prélèvements, utilisent les mêmes fréquences radio que nos bouées. Celles-ci ont des émetteurs plus puissants et je n’entends que des sifflements et pas le moindre crépitement. Notre état-major n’a pas prévu ce problème et pour les prochains tirs il y aura une répartition de canaux de fréquence, huit pour la Marine et huit pour l’Armée de l’air.
L’officier des équipages MANRIQUE, qui sera rapatrié sanitaire, il a pris trop de radiations…
Le 8 juillet nous déplorons la perte d’un matelot du pont d’envol. Le pauvre HAGUENAUER a été déchiqueté par l’hélice d’un Alizé, c’est horrible à voir.
Le deuxième tir « TAMOURE » a lieu le 19 juillet 1966 en présence du Président de la République le Général De GAULLE, du ministre de la défense monsieur Pierre MESSMER et le ministre de la recherche scientifique monsieur Alain PIERREFITTE. Ils sont à bord du croiseur De Grasse qui a également embarqué tout l’état-major du Groupement Opérationnel des Essais Nucléaires (G.O.E.N).
Je suis sur le pont du porte-avions, au moment de l’explosion, mais je ne décolle pas. Pour cet essai une bombe est lâchée par un Mirage IV. La bombe possède une puissance de 50 kilotonnes et elle est lancée à haute altitude, elle explose à 600 mètres du sol.
Un Mirage IV sur le tarmac d’Hao
Nous entendons très bien le grondement de l’explosion, le nuage devient tout blanc car la boule de feu n’a pas touché la mer. Il n’y a pas de radioactivité sur l’eau dans les environs, ce sont le CHILI et les pays des Andes qui vont recevoir les retombées radioactives...
Le Général De Gaulle Président de la République (Photo ECPA)
Le 21 juillet c’est le troisième tir « GANYMEDE ». Je ne suis pas prévu pour un vol et comme il est programmé pour 4 heures du matin, je préfère rester bien au chaud dans ma couchette.
Deux jours plus tard nous regagnons VAIRAO et comme à notre arrivée, des avions Alizé et Etendard sont envoyés à FAAA. Le porte-avions doit rester un mois au mouillage dans le lagon et pour nous c’est agréable de se retrouver à IAORANA VILLA. Pendant notre séjour à terre nous effectuons des vols sur BORA-BORA et vers les îles de la Société.
Dans le Pacifique, nous touchons une bonne solde et pendant les tirs et séjours sur sites nous percevons une multitude de primes. Le livret de caisse d’épargne voit son capital monter et nous pourrons envisager d’acheter un appartement à mon retour. J’envisage également de prendre ma retraite proportionnelle car j’ai déjà 40 annuités et j’ai le grade de maître principal. Je peux également envisager de faire le concours des emplois réservés et postuler comme Agent du Trésor ou Syndic des gens de mer.
J’ai également l’occasion d’aller passer une journée à RANGIROA, le vol s’effectue en Breguet 2 ponts, de l’armée de l’air. RANGIROA est le plus grand des atolls des TUAMOTOUS.
Un jour d’août je suis désigné comme chef de patrouille militaire sur PAPEETE. La patrouille se compose d’un premier maître, de deux seconds maîtres, de quatre matelots et d’un gendarme maritime. Nous patrouillons à neuf tout l’après-midi et le soir jusque vers minuit. Je n’ai jamais été tant filmé et photographié car il y a un bateau de croisière en escale dans le port de commerce. C’est une patrouille tranquille, pas comme à Ajaccio...
A FAAA nous effectuons de petits vols pour calibrer notre « ANTOINETTE », nom donné au récepteur qui reçoit le comptage de radioactivité sur les bouées gamma.
Le 15 août nous appareillons pour entamer la deuxième demi-campagne et trois tirs nucléaires sont également programmés sur les atolls de MURUROA et FANGATAUFA.
![]() Tir FANGATAUFA 1966 |
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Du 20 au 22 août nous sommes en escale aux îles Marquises. Nous sommes au mouillage dans la baie de NUKU-IVA, dont le village principal est VAITAPA. Une seule route goudronnée existe sur un kilomètre, le reste ce sont des chemins boueux qui desservent l’île.
Il n’y a pas de lagon autour des îles Marquises, car malgré sa situation proche de l’équateur il y a le courant froid de HUNBOLD et l’eau est vraiment glacée.
Je descends à terre le premier jour mais il n’y a pas grand-chose à voir hormis la tombe de GAUGUIN et la petite cathédrale. Mille marins à terre dans la gadoue (il a plu) quel spectacle ! Les hommes sont en tenue de sortie blanche et il faut voir dans quel état ils se mettent, surtout ceux qui avaient fait du cheval...
Le reste du séjour je vais sur la plage arrière du bâtiment voir un de mes copains qui est l’officier météo, dont le surnom est « petit nuage », il pêche depuis la coupée arrière. A chaque lancer il ramène un barracuda de plusieurs kilos.
Après avoir quitté l’île de NUKU-IVA nous effectuons le tour de quelques îles et à la baie des Vierges, le bord dépêche un hélicoptère pour évacuer un bébé de vingt mois qui souffre d’une appendicite aiguë. Il est opéré à bord du FOCH par notre chirurgien et l’enfant devient pendant quelques jours la mascotte du porte-avions.
Le 9 septembre le premier tir de la deuxième demi-campagne a lieu. Il est baptisé « BELTEGEUSE de la Constellation d’ORION ». C’est un tir très puissant, vraisemblablement de plus de 100 kilotonnes. Le tir effectué, nous mouillons deux barrages de bouées et il n’y a aucun problème d’écoute et d’analyse des mesures de radioactivité. Nous ne sommes plus brouillés par les fusées lancées par les Vautours.
Le 10 septembre nous effectuons un vol de nuit de 4 heures et j’ai comme pilote le maître SALVIGNAC qui a l’habitude de rajouter quelques nœuds à la vitesse d’appontage. A chaque fois qu’il se présente, il arrive trop vite et nous sommes obligés de remettre les gaz. Nous nous payons huit remises de gaz et la 9eme tentative d’appontage est la bonne. Il ne nous reste que 150 litres de kérosène et il nous était impossible de nous poser sur MURUROA en terrain de déroutement.
Le 24 septembre c’est le deuxième tir « RIGEL ». Le tir est également très puissant et nous effectuons un vol de 4 heures. Sans pratiquement bouger, je descends, tout ankylosé de l’appareil.
Le 3ème tir « SIRIUS » est réalisé le 4 octobre pour vérifier les systèmes de sécurité de l’arme nucléaire. Il n’y a donc pas d’explosion, mais par précaution, nous avions mouillé un barrage de bouées.
Le 10 octobre nous regagnons VAIRAO et la campagne de tirs est terminée. Nous attendons maintenant de connaître la date où la force ALFA appareillera pour regagner la France.
Comme nous devons de nouveau rester au mouillage un mois, de nombreux appareils sont déployés sur FAAA et nous retrouvons nos idéales conditions d’hébergement à IORANA VILLAGE ou dans les logements du C.E.P au bord de mer à PIRAE.
Je peux de nouveau effectuer un vol sur RANGIROA et je vais passer une journée sur le grand atoll de HAO qui sert de base arrière au C.E.P. Je fais la connaissance d’officiers de l'Armée de l'Air et particulièrement d’un commandant de ravitailleur KC 135. L’appareil, un quadriréacteur, sert au ravitaillement en vol des Mirages IV de la Force Aérienne Stratégique (F.A.S). Il m’invite à effectuer un vol météo, presque 8 heures à 40 000 pieds et nous allons jusqu’aux îles FIDJI.
Après avoir atteint l’altitude de croisière nous attaquons une partie de tarots à quatre et les aviateurs pensent plumer le marin. Mal leur en pris, j’ai un billard terrible et beaucoup de jeu. Je gagne trois ou quatre mille francs C.F.P (200 francs français) et mes adversaires me règlent leurs pertes. Je fais alors cadeau de la somme à la caisse noire de l’équipage. Le commandant me lance un « Sympa le marin ! » et le capitaine MICHEL m’annonce qu’il va faire, pour me remercier, le tour de l’île de Tahiti à basse altitude. Pour eux tout est permis et avec l’accord de la tour de contrôle nous effectuons notre vol à l’altitude de 1000 pieds et c’est vraiment impressionnant avec un appareil de cette taille.
Je reçois de façon régulière des nouvelles de France et de Régusse, Juliette m’a envoyé un petit colis avec des conserves de pâtés de gibier. J’apprécie beaucoup.
Quand nous regagnons le FOCH, nous allons sur la presqu’île avec mon ami CASTEL pour aller chercher des régimes de bananes et j’espère en conserver au moins un jusqu’à notre retour à Toulon.
Le 2 novembre 1966 nous appareillons pour rallier la France, la traversée doit durer 29 jours jusqu’à Las Palmas.
Au large de Tahiti nous effectuons un défilé aérien sur PAPEETE et autour de l’île. Nous rejoignons le FOCH, c’est la mise de cap vers le fameux CAP HORN.
Comme dans l’ensemble tout c’est bien passé et qu’il faut que cela dure, le commandant LAURE décide de ne faire que très peu de manœuvres d’aviation pendant le transit. Il n’y a pas de terrain de déroutement en cas de problèmes.
Néanmoins, le 6 novembre, nous sommes désignés pour effectuer une reconnaissance météo. Deux Alizés décollent pour voir si la route qu’emprunte le groupe aéronaval ne rencontrera pas d’icebergs. Nous effectuons un vol de quatre heures sur l’avant jusqu’à 250 nautiques du FOCH. Autant dire que dans cette zone nous ne détectons aucun bateau au radar, ni iceberg. Si nous avons une panne-moteur, c’est le grand bain et malgré notre tenue de plongeur et notre petit dinghy nous n’avons que peu de chances de survivre dans ces lieux si hostiles.
Après l’appontage, j’apprécie au plus haut point le retour à bord.
Nous doublons le CAP HORN le 14 novembre à 6 heures du matin et je vais par curiosité regarder le paysage depuis une tourelle d’artillerie. Il fait très froid avec beaucoup de vent et je n’aperçois qu’un rocher. Je retrouve vite ma bannette dans la tranche « Québec » où j’ai toujours mes quartiers.
Dans la même journée deux Alizés assurent une liaison courrier sur la base de PUNTA ARENA. Nous réceptionnons de nombreux sacs postaux et la poste navale accomplit un travail formidable. J’ai écrit de nombreuses lettres et j’en reçois également en retour.
A bord nous jouons d’interminables parties de cartes. A partir de 18 heures toutes les tables du salon sont occupées et nous avons régulièrement des repas fins organisés par le Carré des officiers. La gamelle est riche !
Nous avons très beau temps dans l’Atlantique quand nous passons au large des îles FAKLAND (les Malouines) et nous réalisons quelques vols d’entraînement A.S.M, tactique JULIE et des tirs sur but remorqué, en bref la routine.
Un dimanche après-midi nous sommes au large du Brésil et de Rio de Janeiro. Je m’assois à bâbord sur le pont d’envol et j’ai emprunté une paire de jumelles dans un Alizé et je peux voir la plage de COPACABANA, le Christ du CORCOVADO et le Pain de Sucre. Il y a une liaison courrier sur Rio et je reçois pas mal de lettres.
Toutes les bananes de nos régimes, que nous avons stockés dans la chambre, sont mûres et il faut les manger. Les copains en profitent car nous n’avons comme fruits que des pommes et des oranges, pour les desserts.
Nous fêtons à bord la Sainte Barbe et la Saint Eloi et il n’y a pas de vol, ce ne sont que jeux et défilés sur le pont d’envol.
Le 1er décembre nous arrivons aux îles Canaries à Las Palmas. Comme nous restons trois jours en escale, nous décidons à plusieurs copains de prendre des chambres en ville et l’hôtel est situé près de la belle plage de sable blanc. En revenant de Dakar nous avions fait escale à Las Palmas dont j’ai le souvenir d’une ville pleine de beaux magasins et je trouve un sac à main en peau de crocodile pour Juliette et des jouets pour mes deux gamins.
Le 6 décembre tous les avions sont catapultés au large des Baléares, le FOCH poursuit sa route où il doit arriver le 7 décembre à Toulon. Sur la base de Hyères j’ai ma petite femme et mes deux fils qui m’attendent, quel bonheur de retrouver ses êtres chers après une si longue absence. Nous bénéficions d’une permission de longue durée, un mois en famille. Pour l’équipage du FOCH ce ne sera pas le cas, ils n’effectuent qu’une courte escale, le FOCH rejoint à l’issue BREST, son port d’attache.
Le porte-avions a parcouru au total 67 000 milles. Son groupe aérien a totalisé plus de 7 400 heures de vol. Les avions ont effectué plus de 2 700 catapultages et autant d’appontages.
Nous passons les fêtes de fin d’année et tout le monde est bien gâté, d’autant plus que nous n’avons pas de problèmes pécuniaires.