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Navigateurs Aériens et DENAEde l'Aéronautique Navale |
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1963
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"Nous volions au niveau 80 en transit retour de Malte et nous étions à 10 minutes environ de la base, quand le P2V6 s'est cabré et malgré les efforts des pilotes pour maintenir l'avion en ligne de vol, celui-ci s'est mis à prendre de l'altitude. L'appareil a décrit des orbites, train et volets sortis, pendant que l'équipage tentait de trouver une solution pour remédier au problème tout en manœuvrant la manivelle à l'arrière et en effectuant divers essais à l'avant. Aucune amélioration ne se produisant, le chef de bord a alors signalé par radio que l'appareil était incontrôlable. Quarante-cinq minutes plus tard, les essais demeurant infructueux, nous avons reçu l'ordre d'évacuer l'avion en parachute. L'évacuation a été faite par les trappes avant et arrière, le QM passager sautant le premier par l'avant. Suivant les prescriptions en usage, la caisse à clous a été larguée la première pour casser les antennes à l'arrière.... ce qu'elle n'a d'ailleurs pas fait ! L'avion étant en orbite, j'ai, au cours du saut vu le Neptune me faire face en m'évitant de justesse et je me suis dit qu'il était vraiment trop bête d'être ainsi percuté ! En suivant visuellement les évolutions de l'avion, je n'ai pas regardé le sol et je me suis retrouvé dans une zone rocheuse, le dos plaqué contre la paroi. Je suis resté allongé sur le sol, incapable de bouger, réconforté par le TACO. Sur le plateau, l'équipage s'est rassemblé en 3 groupes suivant l'issue par laquelle ils avaient sauté. Sur les 13 parachutistes "de fortune", 7 étaient arrivés indemnes au sol, le Mtre BEAUVOIR et le QM SOCHA avaient des entorses, le Maître SALVI une fracture du pied, le SM CURIE des plaies à la face, le PM GUILLERM et moi-même des traumatismes à la colonne vertébrale. Tenant compte du fait que nous avions sauté avec des parachutes ventraux et des chaussures basses dans une zone montagneuse, l'état sanitaire était donc satisfaisant. Environ 1 heure après le saut, nous avons été récupérés par les hélicoptères de la base de La Sénia qui nous ont dirigés sur l'hôpital Baudens à Oran où nous avons subi des examens médicaux approfondis." |
Revenons maintenant à l'avion, 11 membres de l'équipage avaient donc sauté et restaient seuls à bord, les 2 pilotes et le mécanicien aux manettes : Pierrot MOCTEAU. Tous les 3 poussaient sur les 2 manches puis ont décidé d'évacuer en même temps. Le mécanicien et le copilote ont ainsi pu quitter le poste de pilotage mais le manche du pilote est revenu en arrière coinçant le chef de bord sur son siège. Glissant sur l'échelle avant maculée de liquide hydraulique, le mécanicien a effectué une évacuation très très rapide.
Par décrochages successifs, l'EV1 BRUERE, resté seul à bord (une première !) a pu poser, le train d'atterrissage étant sorti pour faciliter le tenue de l'appareil en ligne de vol, le P2V6 indemne, réalisant ainsi un tour de force.
À BAUDENS, vieil hôpital datant de la colonisation, les conditions d'hébergement seront limites malgré les interventions du pacha de la base et de la flottille. De nombreuses bestioles sortent, des murs en terre, des boiseries et se glissent entre les plâtres et la peau. Chaque jour il faut brûler les planches remplies de punaises sur lesquelles sont allongés les blessés de la colonne vertébrale. Les légionnaires prendront en charge les blessés. Les autres équipages de la flottille se relaient, en T.A. (titre d'absence) auprès des blessés qui doivent raconter de très nombreuses fois leur aventure.
Mais revenons à notre Neptune posé dans la Sebkha gardé nuit et jour par du personnel de la BP AN Lartiguc et des militaires du 67ème R.I. avec à leur tête le Capitaine de Corvette LANGLAIS, sa longue barbe et son crâne rasé, C.S.G de la base et figure légendaire de la Marine. Après une inspection technique poussée, des réparations sommaires, il est décidé de le ramener par la voie aérienne à sa base.
Tout le matériel superflu pour ce transit est démonté et ramené par voie routière afin d'alléger l'avion au maximum. L'équipage UNIFORM ALFA (Officier des Équipages BESSE), très réduit est désigné pour cette mission délicate avec le lieutenant de vaisseau FONTAINE, commandant de la flottille comme copilote.
En travers de l'avion une ligne blanche est tracée à 1000 mètres. Un camion de 1er secours des pompiers stationne à cet endroit. En effet la décision de crasher l'avion est prise s'il n'a pas pris l'air à cette distance. Mais ce vaillant aéronef décolle bien avant et regagne la base escorté par un autre avion de la flottille. Il sera remis en état, reviendra à Nîmes en décembre 1963 et continuera à volet au sein de la flottille au moins jusqu'au 18 juin 1964, date à laquelle je trouve encore trace d'une mission sur cet aéronef dans mon carnet de vol.
Suite à cet accident aérien, les vérifications de l'ensemble du parc P2V6 ont montré qu'un certain nombre de ces avions présentaient des embrayages de varicam défectueux.
Quelques jours après ce 4 septembre, un grand pot, comme on savait les faire en Afrique, réunissait, dans le hangar, toute la flottille et tous les acteurs de cette aventure avec bien évidemment l'équipage Uniform Bravo et ses blessés (avec leurs plâtres dédicacés). Pour perpétuer la mémoire de cet événement peu banal un carnet comportant 33 photographies de l'avion, de l'équipage et des différents messages échangés a été remis à chacun des membres de l'équipage.
L'EV1 Bruère
Quelques mois plus tard, rentrant en France avec un S030P, j'avais pour voisin, le quartier-maître chef secrétaire, qui avait participé à cette mission. Il m'a raconté ce qui s'était passé dans sa tête au moment de l'accident. Pour lui, et alors que les 2 moteurs tournaient correctement on lui a demandé de capeler son parachute ventral et d'évacuer l'avion. Il s'est alors rappelé ce que ses collègues secrétaires de l'Etat-Major de Mers-El-Kébir lui avaient dit: "Attention à ces Aéros, ils vont te faire des blagues". Aussi, pour "jouer le jeu" a-t-il mis son parachute et s'est-il mis face à l'échelle de la trappe avant.
Mais quand un membre de l'équipage l'a poussé dans le vide, il m'a avoué avoir, dans un premier temps, pensé que ces Aéros étaient vraiment plus fous qu'on ne le lui avait dit.
Le mot de la fin revient au Capitaine de Frégate PALMESANI, Commandant l'Aéronautique Navale à Mers-El-Kébir, qui dans une communication à la BP AN Lartigue a fait part de la "conclusion miraculeuse" de cet accident du 4 septembre 1963 et ses félicitations à l'équipage pour "cet exploit sans précédent".