Macaron

Navigateurs Aériens et DENAE

de l'Aéronautique Navale

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1990

Par le CF (H) Frédéric LEBOEUF

Un vol polaire bien agité

Mon expérience est intéressante…
Vol polaire en février 1990 au profit des navigateurs aériens en stage à l’EPV/56S pour l’acquisition du Brevet Supérieur. Ce vol sera effectué avec la première moitié des effectifs de cette promotion.
- ATL1 n°65.
- Équipage FXCWD. L’équipage est réduit pour accueillir les stagiaires BS 89. L’attaché de défense au Danemark nous accompagne, il a rendez-vous avec le commandant de la base de Thulé qui se trouve au Groenland donc au Danemark !
L’attaché de défense est un Cyrard d’une famille très Marine… il s’appelle Le Hénaff et petit neveu du LV ! (NDLR : Le LV Le Henaff était un aviso de la Marine dont le nom rendait hommage à Yves le Hénaff, héros de la résistance).
- Départ le 11 février. Retour le 18 février.
- Les vols se déroulent de nuit pour faire un maximum d’astronomie, caps vrais, points, etc.

Première étape Lann Bihoué - Lajes (Açores). Vol de nuit (5.5) :
Rien à signaler, les Américains ont l’habitude de nous voir à Lajes. Nous les fréquentons réguliè- rement à l’occasion des opérations de pistage des sous-marins russes !

Deuxième étape : Lajes - Montréal Saint-Hubert. Vol de jour ! (4.0 + 6.0) :
La météo sur la route n’est pas brillante. La clearance océanique est difficile à obtenir. Comme d’habitude au lever du jour nous jonglons avec les fréquences HF du contrôle océanique pour maintenir la liaison et faire les reports de position. Le FL 180 (18 000 pieds) est loin d’être confortable et nous sortons régulièrement le radar pour un éclairage météo.
Et puis, de façon inattendue alors que nous sommes dans les nuages et que nous avons passé le point milieu, nous observons un givrage complet de l’avion ! Pare-brise, essuie-glaces, bords d’attaques des ailes et moteurs, pales d’hélices, antennes HF… tout !
Les détecteurs de vibrations des deux moteurs passent dans le rouge . Procédure… réduire puis couper !!
Réduire ? Un peu, mais l’avion commence à descendre ! Couper ? Pas possible !!
Avec mon MECBO (mécanicien de bord) nous vérifions les systèmes antigivrages et nous décidons d’essayer de nous débarrasser de la glace des moteurs. Nous traiterons ensuite les bords d’attaque des ailes. L’APU a été démarrée (Auxiliary Power Unit - groupe auxiliaire de puissance).
Un message « PAN » est envoyé, enfin j’espère, car comme je l’ai dit plus haut, comment être certain à cette heure-là d’être sur la bonne fréquence HF. Donc je l’envoie sur plusieurs fréquences. Et comme nous sommes vraisemblablement les seuls à ne pas être équipés de SELCAL eh bien personne ne veille pour relayer (2).
Pour faire partir la glace accumulée sur les moteurs, une fois les antigivrages vérifiés, nous nous préparons pour un éventuel rallumage. Nous décidons de réduire le moteur droit pour faire varier le pas d’hélice et détacher la glace. Ça fonctionne, le bruit est insupportable, les morceaux de glace viennent frapper la cellule mais l’hélice est claire, la couronne moteur l’est également. Les vibrations du moteur sont redevenues normales à droite et nous ne descendons plus en dessous du FL 160.
Même procédure pour le moteur gauche, même résultat. Les deux moteurs sont donc OK.
On traite maintenant les bords d’attaques des ailes, l’épaisseur est assez importante pour que le dégivrage pneumatique soit efficace. Et il l’est !!
Je fais mon message de position et j’annule mon message PAN. Le contrôle me demande quel message PAN... « No comment », vivement que l’on soit équipé d’un SELCAL.
Nous terminons le transit au-dessus du Canada sous un merveilleux ciel bleu et 60 nœuds de vent de face ! Ça n’en finit plus ! A l’arrivée, la pointe du nez vitré est recouverte d’un disque de glace parfait !!

Étape Montréal - Thulé (0.1 + 7.4) :
Arrivée par beau temps ! Les anciens de la flottille nous avaient briefés sur l’atterrissage, attention à la tenue de pente car il n’y pas de relief, tout est blanc ! De plus, il ne faut pas utiliser les « reverses (1) » trop violemment (hélices en pas négatifs) et les freins pas du tout !
La température au sol est de -57° !
Le soir même une tempête de neige est prévue à Thulé. Ça se radoucit -37 °!! Il faut aller camper et amarrer l’avion avant que les extérieurs ne soient interdits. Il n’y a pas de place dans les hangars ! Nous déstockons le lot polaire… pour voir !! Les vêtements sont bien adaptés sauf… les gants qui ne sont pas attachés aux manches ou à autre chose . Nous en faisons l’expérience. Un gant tombé est emporté par le vent. Il sera arrêté par un équipement de piste ! Sinon impossible de le rattraper ! En survie le résultat aurait été la perte de la main !!

Étape Thulé – Pôle Nord – Keflavik (Islande) (9.2) :
Le lendemain il fait beau, nous déneigeons l’avion et nous commençons à préparer l’étape suivante, passage au pôle Nord puis Keflavik (Base US Navy en Islande). Et toujours de nuit pour l’entraînement à la navigation astronomique de nos chers BS.
Au briefing météo, on nous annonce que Thulé fermera une heure après notre décollage et que nous devons nous poser avant 5 h du matin, heure à laquelle la tempête de neige arrivera sur Kef. Sinon ce sera un déroutement sur Kinloss ensuite et pas de gras !
Tout se déroule comme prévu :
- L’avion pisse de partout… idem si on suit les procédures on reste au parking, les fuites sont toutes hors tolérance. Je décide de démarrer l’APU afin de faire chauffer l’avion et voir ce qui se passe. Et 45 mn après tout est OK.
- Navigation vers le pôle en « NAV GRILLE », passage au pôle, tour du monde en deux minutes… cap sud… oui mais lequel… Le BS de quart en choisit un, mais ce n’est pas le bon et c’est mon TACCO, vieux de la vieille à qui on ne la fait pas, qui va récupérer la situation. Pas d’impact sur l’heure d’arrivée et le pétrole.
- Comme prévu la tempête est là et nous faisons notre ILS à KEF avec 60 nœuds de vent de face, le pilote les deux mains sur le manche et moi aux gaz. Posé pas cassé. Direction le parking où les Américains qui ne nous attendent pas nous font patienter une vingtaine de minutes. Avec 65 nœuds de vent, nous mettons l’avion face au vent et nous augmentons les régimes moteurs en faisant passer la palette « sol/vol » sur « vol » de temps en temps. On finit par nous trouver un parking, nous faisons un plein d’attente et on campe l’avion avant de dormir !! Déneigement encore le lendemain. Départ le surlendemain… de nuit !

Dernière étape : Keflavik – Nîmes - Lorient (2.0 + 5.3) :
La fin de mission sera sans problème, un transit KEF vers Nîmes avec un temps de curé… toujours de nuit. Nous voyons défiler toutes les grandes villes du Royaume-Uni et de la France, dépose des BS et retour Lorient… il n’y a personne en l’air, et nous discutons avec les contrôleurs et les avions d’Air France !!

(1) Reverses : Système d’inversion du pas des hélices qui permet à l’avion de freiner, voire de reculer.
(2) SELCAL : « Selective Calling System » : système d'appel sélectif qui permet à un opérateur radio d'une station au sol d'avertir l'équipage d'un aéronef lorsqu'il souhaite entrer en communication avec l'appareil.

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